Jean Guidoni

Jean Guidoni : un chanteur enfant de Toulon

Né le 3 mai 1951 à Toulon — une ville qu’il partage avec un autre grand de la chanson, Gilbert Bécaud — Jean Guidoni grandit dans un milieu modeste. Sa famille, d’origine corse, vit dans la basse-ville, à deux pas du marché provençal du cours Lafayette. Sa grand-mère paternelle, cuisinière, joue un rôle important dans son éducation, tandis que son père, marin, passe de longs séjours à l’étranger.

Jeune homme, il rêve mais n’a pas encore trouvé sa voie. Après une formation comme coiffeur à Toulon, il part à Marseille où il travaille dans un salon de hammam, un monde nocturne et marginal qui nourrit sa sensibilité artistique.

De Marseille à Paris : la métamorphose artistique
En 1971, fuyant les dangers du quartier, il monte à Paris. Là, Guidoni reprend son métier de coiffeur tout en prenant des cours de chant. Sa voix intrigue : il enregistre une maquette, valorisée par Marcel Rothel (directeur artistique des éditions Michel Legrand), qui croit en son timbre singulier.

Quelques années plus tard, en 1975, il sort son premier 45 tours « La leçon d’amour ». En 1977, grâce à la plume de Jacques Lanzmann, il propose la chanson « Le Têtard », un titre qui lui permet de se faire remarquer.

L’émergence d’un univers provocateur
Le véritable tournant vient lorsqu’il rencontre Pierre Philippe, parolier et cinéphile, figure intimement liée à l’œuvre de Fassbinder. Ensemble, ils bâtissent un répertoire audacieux, teinté de noirceur, d’amour gay, de marginalité.

En 1980, sort Je marche dans les villes, album majeur écrit avec Philippe. Il y aborde des thèmes tabous à l’époque : homosexualité, solitude, désir. Ce disque lui vaut le Grand Prix du Disque de l’Académie Charles-Cros, un signe que sa singularité bouleverse aussi bien le public que les critiques.

Crime Passionnel : l’opéra pour homme seul
En 1982, il publie Crime Passionnel, peut-être son chef-d’œuvre. La musique est signée Astor Piazzolla, le tango argentin, et les textes toujours de Pierre Philippe. Cet album est souvent qualifié « d’opéra pour homme seul », tant il mélange intensité dramatique, théâtralité et confession intime.

Sur scène, Guidoni adopte une esthétique radicale : maquillage blanc, bas résille, talons aiguilles. Il brouille les frontières de genre, impose une théâtralité qui dérange autant qu’elle fascine.

Provocation, engagement et reconnaissance
Dans les années 1980, il poursuit avec des albums comme Putains (1985), aux textes crus, et Tigre de porcelaine (1987), pour lequel il reçoit de nouveau un prix Charles-Cros. Il se produit en drag sur scène, cultivant cette image de provocateur poétique.

Dans les années 90, il revient plus calme mais toujours engagé. Il aborde le sida, l’exclusion, avec des spectacles qui mêlent danse contemporaine et musique. En 1995, il sort Vertigo, avec des musiques de Michel Legrand, et la chanson « N’ Oublie jamais qui tu es » évoquant l’épidémie.

Un artiste en quête de renouveau
Dans les années 2000, Guidoni écrit lui-même ses textes. En 2007, l’album La Pointe Rouge rassemble des artistes de la nouvelle scène : Dominique A, Philippe Katerine, Jeanne Cherhal, Mathias Malzieu. Il rend ensuite hommage à des poètes : un album Jacques Prévert en 2008, puis un hommage à Allain Leprest en 2014.

En 2025, alors qu’il approche des 74 ans, il publie son 17ᵉ album, Eldorado(s), qu’il présente en concert dans les lieux qui lui sont chers, comme le Théâtre des Bouffes du Nord à Paris.

Mort d’une icône théâtrale
Le 21 novembre 2025, Jean Guidoni s’éteint à Bordeaux, des suites d’« une maladie fulgurante », selon son attachée de presse.

Un héritage incomparable
Jean Guidoni laisse une empreinte unique dans la chanson : un univers baroque, théâtral, transgressif, qui a souvent défié les normes. Il aura été un artiste en marge, fidèle à lui-même, explorant les zones d’ombre – la nuit, l’amour interdit, la solitude – avec une poésie fiévreuse. Sa mort marque la fin d’une trajectoire rare, mais son œuvre continue d’inspirer.

Illustration de l’article: Janine Marc-Pezet, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons

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